Le blog de Nicolas de Rouyn

Bonjour.
Ceci est un blog dédié au vin et au monde du vin, qu'on appelle aussi le mondovino. Et à tout ce qui entoure le vin, les belles tables,
les beaux voyages, les tapes dans le dos et les oreilles tirées.
Cela posé, ce qu'on y lit est toujours de-bon-goût-jamais-vulgaire,
ce qui peut plaire à votre mère. Dites-le lui.
(Only dead fish swims in ze stream).
Les photos sont signées Mathieu Garçon, sauf mention. Pour qu'elles soient belles en grand, il suffit de cliquer dessus.
Au fait, il paraît que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération".
Nicolas de Rouyn



lundi 5 septembre 2011

Madame Gasqueton est morte, Calon-Ségur est triste


Je n’ai rencontré Madame Gasqueton qu’une seule fois. Elle avait le goût du secret et la phobie des journalistes comme des photographes. Elle voulait bien qu’on parle de son vin, mais d’elle, jamais. Son attaché de presse parisien, l’inoxydable Jean-Pierre Tuil, lui servait surtout à écarter la presse, un comble pour un homme comme lui. Son vin, le château-calon-ségur, était tout en haut de l’appellation aux côtés des montrose, cos-d’estournel, phélan-ségur, lafon-rochet. Les gens du Médoc avaient, à son égard, des sentiments contrastés. Cette vieille dame vivait tranquillement dans son château, le domaine était fermé à la visite, elle ne voulait pas le public, pas la notoriété, « je ne veux pas être embêtée », elle ne l’était pas, tranquille, loin du monde et de ses contingences, une vie comme au XIXe siècle. Ce qui n’était pas le cas des vins qu’elle produisait. Les dix millésimes les plus récents décrivent une exploitation viticole au sommet de sa forme, des vins d’exception régulièrement encensés par les grands dégustateurs, Michel Bettane le premier : « C’était un exemple de veuve. Dès que son mari a disparu, elle a tout fait pour remettre la propriété au premier rang du Médoc, un rang que Calon occupait avant guerre. Elle y est parvenue il y a une dizaine d’années au prix d’investissements considérables. J’aimais bien son côté Louis de Funès en femme. »
De la qualité retrouvée de son vin, elle ne jouait qu’avec mesure, toujours sage dans l’appréciation de ses vins qui ne figuraient pas parmi les plus chers du Médoc. Ils auraient pu, elle s’en foutait, sans doute, ou croyait à la valeur d’une relation pérenne avec ses clients de toujours.
Un jour, donc, à Calon-Ségur, j’ai rencontré Madame Gasqueton, c’était il y a un an ou deux, pas plus. Nous avons dégusté le primeur du moment avec cette impérieuse vieille dame un peu bougon, un peu ronchon, un peu grognon, « oui, bien sûr, c’est très bon », dans la cuisine rénovée dans les années 60, et nous nous sommes retrouvé au salon, une coupe d’ayala à la main, un biscuit de Reims dans l’autre, il était cinq heures du soir, on changeait de siècle, c’était amusant de retrouver ma grand-mère, ses ambiances surannées et un rien pesantes, la tapisserie d’Aubusson au mur, le lustre de cristal, les fauteuils aussi sublimes qu’inconfortables, les tables de bridge en marqueterie, les tapis, un très beau salon, quoi.
La conversation roulait tout doucement et, pour la meubler, notre ami Michel Creignou, fin connaisseur du vignoble, lui posa la question suivante, à propos des Bouygues à Montrose : « Que pensez-vous des grands travaux entrepris dans l’une des belles propriétés de Saint-Estèphe ? » Elle n’eut pas besoin de réfléchir, elle savait déjà ce qu’elle en pensait et, du tac au tac : « Que chacun reste à sa place. » C’était pour ce genre de déclaration excessive qu’elle était diversement appréciée. Moi, évidemment, le côté politiquement incorrect m’avait enchanté. Dans la voiture de retour, Creignou et moi, étions morts de rire.
Paix à votre âme, Madame Gasqueton, et que Dieu vous épargne ce qu’il va advenir de votre propriété. On peut penser qu’il va y avoir du monde sur les rangs de la reprise et sur le dos de vos héritiers.

La photo : Madame Gasqueton (D.R.)

Pour info, Calon-Ségur, c’est 60 hectares de belles vignes avec un beau bâti, et un deuxième château classé en bourgeois, Capbern-Gasqueton, pour 30 hectares, aussi à Saint-Estèphe.

8 commentaires:

  1. c'est 30 ans d'amitié et de connivence qui s'achèvent. Reposez en paix Madame Gasqueton

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  2. ces quelques phrases résument la grandeur de Mme Capbern-Gasqueton
    merci

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  3. @Patrick Biais: merci du compliment, mais je suis pas sûr d'avoir fait ce que vous dites, je ne connaissais pas assez cette grande dame du Medoc

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  4. Un monument comme on n'en verra plus dans les générations futures. Entière et véritable mais tellement rassurante, une femme de caractère, de conviction et de coeur.

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  5. Et pourquoi ne verrions-nous plus de personnages de cette ampleur. J'en connais des jeunes qui feront des vieux largement aussi énormes !

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  6. à bon vivant : apparemment vous ne "connaissiez pas assez cette grande dame du médoc" mais dans ce cas pourriez respecter sa mémoire -

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  7. Et vous, l'anonyme honteux, vous trouvez que je ne respecte pas la mémoire de Madame Gasqueton ? C'est le monde à l'envers !

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  8. J'adorais la croiser au volant de sa grosse Mercedes. Du genre à te faire mordre le bas côté, car ce n'est pas elle qui devait freiner. Toujours le même sourire bienveillant, comme sur la photo ci dessus. C'est évidemment une triste disparition pour la viticulture. Et pour son entourage.

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